« Je ne le vois jamais lire ! » me lancent
les parents, des trémolos plein la voix, lors des premières réunions
parents-professeurs. Ce à quoi je ne réponds pas « Et vous,
lisez-vous ? » Dans cette école des parents que tout enseignant
souhaiterait, ne peut-on pas poser comme premier argument : votre enfant
est d’abord ce que vous en avez fait. On apprend aux parents à la maternité à
changer les couches de leur enfant, peut-être faudrait-il leur rappeler combien
la lecture des contes au coucher est bien plus importante… sans leur imposer
d’ouvrir La psychanalyse des contes de fée de Bruno Bettelheim. On
n’imagine pas le nombre de parents qui n’ont pas su créer cet instant
privilégié et fondateur.
Mais il faut aussi comprendre que la plus grande partie des
parents de nos élèves en difficulté vivent une fracture avec le livre parce
qu’ils ont aussi vécu une fracture avec l’école. En 1945, 1% des fils
d’ouvriers ou équivalent bouclent leurs études supérieures contre 1% en… 2013.
Souvenez-vous que les enfants de classes modestes représentaient 30% des entrées dans les grandes écoles
contre 7% aujourd’hui. Sans entrer dans « la reproduction des
élites » que démontre Pierre Bourdieu, quand en 2010, 3% des enfants d’enseignants entre en 6e
en retard contre 19% des enfants d’ouvriers, on peut comprendre cet état de
défiance.
Ouvrez la porte d’une salle des professeurs et demandez à
chacun de vous conter ses origines. Une grande partie d’enfants de
fonctionnaires pour ne pas dire d’enseignants et tous ou presque pourront vous
raconter combien ils étaient bons élèves et combien ils aimaient lire. Il leur
est bien difficile, malgré leur formation, leur enthousiasme, leur empathie
même quelquefois, de partager la détresse du cancre même si on le nomme
aujourd’hui dysquelquechose. Comment
peut-on ne pas aimer lire, s’écrient-ils !
Que dire enfin du programme de français qui doit donner goût à la lecture ! Des
livres qui ne sont qu’une suite d’extraits divers qu’il s’agit de charcuter et
de commenter regroupés par périodes et par thèmes. Comment peut-on aimer un
livre en n’en découvrant que des extraits ! Tout n’est pas à jeter, bien
sûr ! Mais vous avouerez qu’aborder Le
Roman de Renart, Tristan et Iseult
ou Yvain, le chevalier au lion en 5e
pour un pauvre lecteur, relève de la gageure. Mais ces livres scolaires sont
composés par l’élite des enseignants pour l’élite des élèves… L’inconséquence
des maîtres, je parle des plus brillants parmi eux, participe bien à l’échec de
nos élèves les plus fragiles.
Je crois d’ailleurs pour suivre Foucambert qu’il n’y a
pas à l’entrée en 6e 20% d’élèves qui ne savent pas lire mais
seulement 20% qui ont acquis cette lecture savante qui leur permettra
d’apprécier ce qui se trouve dans les livres. Ces 20% qui constituent
« l’élite » toujours renouvelée et pourtant toujours la même.
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