samedi 23 mars 2013

Ils ne lisent pas




« Je ne le vois jamais lire ! » me lancent les parents, des trémolos plein la voix, lors des premières réunions parents-professeurs. Ce à quoi je ne réponds pas « Et vous, lisez-vous ? » Dans cette école des parents que tout enseignant souhaiterait, ne peut-on pas poser comme premier argument : votre enfant est d’abord ce que vous en avez fait. On apprend aux parents à la maternité à changer les couches de leur enfant, peut-être faudrait-il leur rappeler combien la lecture des contes au coucher est bien plus importante… sans leur imposer d’ouvrir La psychanalyse des contes de fée de Bruno Bettelheim. On n’imagine pas le nombre de parents qui n’ont pas su créer cet instant privilégié et fondateur.
Mais il faut aussi comprendre que la plus grande partie des parents de nos élèves en difficulté vivent une fracture avec le livre parce qu’ils ont aussi vécu une fracture avec l’école. En 1945, 1% des fils d’ouvriers ou équivalent bouclent leurs études supérieures contre 1% en… 2013. Souvenez-vous que les enfants de classes modestes représentaient  30% des entrées dans les grandes écoles contre 7% aujourd’hui. Sans entrer dans « la reproduction des élites » que démontre Pierre Bourdieu, quand en 2010,  3% des enfants d’enseignants entre en 6e en retard contre 19% des enfants d’ouvriers, on peut comprendre cet état de défiance.
Ouvrez la porte d’une salle des professeurs et demandez à chacun de vous conter ses origines. Une grande partie d’enfants de fonctionnaires pour ne pas dire d’enseignants et tous ou presque pourront vous raconter combien ils étaient bons élèves et combien ils aimaient lire. Il leur est bien difficile, malgré leur formation, leur enthousiasme, leur empathie même quelquefois, de partager la détresse du cancre même si on le nomme aujourd’hui dysquelquechose. Comment peut-on ne pas aimer lire, s’écrient-ils !
Que dire enfin du programme de français  qui doit donner goût à la lecture ! Des livres qui ne sont qu’une suite d’extraits divers qu’il s’agit de charcuter et de commenter regroupés par périodes et par thèmes. Comment peut-on aimer un livre en n’en découvrant que des extraits ! Tout n’est pas à jeter, bien sûr ! Mais vous avouerez qu’aborder Le Roman de Renart, Tristan et Iseult ou Yvain, le chevalier au lion en 5e pour un pauvre lecteur, relève de la gageure. Mais ces livres scolaires sont composés par l’élite des enseignants pour l’élite des élèves… L’inconséquence des maîtres, je parle des plus brillants parmi eux, participe bien à l’échec de nos élèves les plus fragiles.
Je crois d’ailleurs pour suivre Foucambert qu’il n’y a pas à l’entrée en 6e 20% d’élèves qui ne savent pas lire mais seulement 20% qui ont acquis cette lecture savante qui leur permettra d’apprécier ce qui se trouve dans les livres. Ces 20% qui constituent « l’élite » toujours renouvelée et pourtant toujours la même.

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